Arrêt de la 2ème Chambre Civile de la Cour de Cassation du 7 mars 2024

Cass. 2ème Civ. 7 Mars 2024 n°21-19.475

 Les praticiens l’ont tous constaté, le temps judiciaire s’allonge. Les délais pour obtenir une décision de justice ont considérablement augmenté ces dernières années, en raison notamment de rôles de plus en plus chargés, voire complets.

Devant la Cour d’Appel particulièrement, les délais entre la déclaration d’appel et la fixation de l’affaire pour plaidoirie peuvent se compter en années, malgré les délais couperets fixés notamment par le décret dit « Magendie ».

Or en matière de procédure civile, qui dit « année », pense « péremption d’instance ».

Pour rappel, l’article 386 du Code de Procédure Civile prévoit :

« L’instance est périmée lorsque aucune des parties n’accomplit de diligences pendant deux ans. »

Quid alors de la procédure d’appel où les parties ont respecté l’ensemble des délais leur incombant, sans plus rien avoir à rajouter au soutien de leurs prétentions respectives, mais qu’en raison de rôles surchargés voire complets, le Conseiller de la Mise en Etat n’est pas en mesure de fixer l’affaire pour plaidoirie dans un délai inférieur à deux ans ?

Jusqu’à présent, la Cour de Cassation considérait de manière stricte qu’il appartenait à la partie appelante de demander explicitement la fixation de l’affaire pour plaidoirie afin d’interrompre le délai de péremption d’instance (Cass. 2ème Civ. 1er février 2018 n°16-17.618, Bull. 2018, II, n°20).

A défaut, celle-ci s’exposait à la péremption d’instance et ce, quand bien même les parties n’avaient plus de diligence utile à effectuer en vue de faire avancer l’affaire.

Autrement dit, sous la Jurisprudence antérieure, il appartenait à l’appelant d’accomplir des diligences vaines et purement procédurales afin de faire courir un nouveau délai de péremption.

Cette Jurisprudence s’inscrivait dans le cadre d’une procédure d’appel couperet, où l’irrecevabilité procédurale prend le pas sur le fond du litige.

Sous l’impulsion opportune du Conseil National des Barreaux, intervenu devant la Cour de Cassation en qualité d’amicus curiae, la Haute Juridiction a opéré un revirement de Jurisprudence bienvenu.

Au terme d’un arrêt hautement symbolique du 7 mars 2024, la Cour de Cassation considère désormais qu’en de telles circonstances, « la direction de la procédure [échappe aux parties] au profit du conseiller de la mise en état ».

Qu’il en découle « que lorsque le conseiller de la mise en état n’a pas été en mesure de fixer, avant l’expiration du délai de péremption de l’instance, la date de la clôture ainsi que celle des plaidoiries, il ne saurait être imposé aux parties de solliciter la fixation de la date des débats à la seule fin d’interrompre le cours de la péremption. »

Ainsi et au visa notamment de l’article 6 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, relatif à l’accès au juge et au droit à un procès équitable, la Cour en déduit qu’il y a lieu d’assouplir les conditions d’application de l’article 386 du Code de Procédure Civil et de l’accès au juge.

Désormais, « une fois que les parties ont accompli toutes les charges procédurales leur incombant, la péremption ne court plus à leur encontre ».

La Cour pose cependant une limite à cet assouplissement lorsque le conseiller de la mise en état fixe un calendrier de procédure où enjoint aux parties d’accomplir une diligence particulière. Dans cette hypothèse, la péremption d’instance retrouve.

Cette Jurisprudence va donc rassurer un bon nombre de praticiens, à commencer par celui de nos confrères à l’origine du pourvoi !

Doit-on pour autant y voir une porte ouverte vers un assouplissement de la procédure civile ? Prudence est de mise …

Me Alexis Ahlsell de Toulza